mardi 10 mars 2009

"J'ai quitté votre vie comme on quitte un pays, sans regret, sans remord juste avec quelques larmes au fond du coeur. Au début j'ai eu du mal à m'habituer : la rue, le froid et les dangers... Après je m'y suis fait. J'ai appris à être seul. Ce qu'il faut d'abord c'est apprendre à apprendre, ce n'est pas donné à tout le monde mais avec un peu de courage on n'y parvient. Il ne faut pas s'angoisser pour rien, il faut écouter tout le temps, dans la rue il n'y a que comme ça que les paumés peuvent s'en sortir. Au début ils connaissent le glauque, la nuit, le vent qui souffle dans les platanes mornes. Au début ils connaissent la honte, la faim, la soif, la fatigue et l'incertitude, et puis enfin le banc ! Oui, un banc, tout simplement. C'est de là que j'ai tout vu, c'est de là que j'ai tout compris, il était vieux et puis sale et puis triste comme moi, alors je l'ai adopté. Je m'y suis assis pour ne plus le quitter, maintenant c'est mon quartier général. "Q.G, deux lettres à peine qui en disent long sur ma vie... J'ai fais du mal à personne, je n'en veux à personne. Une fois j'ai entendu une femme qui disait à une commerçante "dans la vie on n'a que ce qu'on mérite", alors je mérite ce que j'ai. Peut-être même que j'ai choisi la vie de Bohême parce que je l'avais toujours mérité. La liberté, l'espace et puis le goût des choses, cela se mérite n'est-ce pas ? Hier matin alors que j'étais encore assis sur ce maudit banc à attendre rien de plus que les autres jours, j'ai vu un pigeon qui picorait des miettes de pain. Il marchait tout près de moi, presque entre mes pieds. Il était laid dans sa robe grise et désespérée mais en même temps plein de cette liberté qui m'a tant manqué. Il a mangé ses miettes et puis soudain, il a pris son envol et moi j'étais là sidéré, englué dans la flagrance de ce désir pleinement accompli. C'est tellement rare d'être maître de soi que je me demande même si cet exploit est humain..."

(Extrait du roman "La Solitude des Loups" aux éditions Nulle-part).

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